Textul francez
Amis! l’ennai nous tue, et le sage l’évite!
Venez tous admirer la fête ou vous invite
Neron, Cesar, Consul pour la troisètme fois,
Neron, maître du monde et dieu de l’harmonie,
Qui, sur le mode d'Ionie,
Chante, en s'accompagnant de la lyre à dix voix!
Que mon joyeux appel sur l’heure vous rassemble!
Jamais vous n'aurez eu tant de plaisirs ensemble
Chez Pallas l’affranchi, chez le Grec Agénor,
Ni dans ces gais festins, d'ou s'exilait la gêne,
Ou l’austere Sénèque, en louant Diogèné,
Buvait le falerne daus l’or!...
Venez, Rome à vos yeux va brûler, — Rome entière!
J’ai fait sur cette tour apporter ma litière
Pour contempler la flamme en bravant ses torrents.
Que sont les vains combats des tigres et de l’homme?
Les sept monts aujourd'hui sont un grand cirque où Rome
Lutte avec les feux dévorants!
C'est ainsi qu'il convient au maître de la terre
De charmer son ennui profond et solitaire!
Il doit lancer parfois la foudre, comme un dieu!
Mais venez, la nuit tombe et la fête commence!
Déja l’incendie, hydre immense,
Lève son aile sombre et ses langues de feu!
Voyez-vous? voyez-vous ? sur sa proie enflammée
Il déroule en courant ses replis de fumée;
Il semble caresser ces murs qui vont périr;
Dans ses embrassements les palais s'évaporent...
— Oh! que n'ai-je aussi, moi, des baisers qui dévorent,
Des caresses qui font mourir!
Ecoutez ces rumeurs, voyez ces vapeurs sombres,
Ces hommes dans les feux errants comme des ombres,
Ce silence de mort par degrés renaissant!
Les colonnes d'airain, les portes d'or s'écroulent!
Des fleuves de bronze qui roulent
Porteat des flots de flamme au Tibre frémissant!
Tout périt! jaspe, marbre, et porphyre, statues,
Malgré leurs noms divins dans la cendre abattues.
Le fléau triomphant vole au gré de mes voeux;
Il va tout envahir dans sa course agrandie;
Et l’aquilon joyeux tourmente l’incendie
Comme une tempête de feux.
Fier Capitole, adieu! — Dans les feux, qu'on excite,
L'aqueduc de Sylla semble un pont du Cocyte.
Néron le veut: ces tours, ces dômes tomberont,
Bien: sur Rome, à la fois, partout, la flamme gronde
— Rends-lui grâces, Reine du monde.
Vois quel beau diademe îl attache à ton front!
Enfant, on me disait que les voix sibyllines
Promettaient l’avenir aux murs des sept collines,
Qu’aux pieds de Rome enfin mourrait le temps dompt
Que son astre immortel n'était qu’à son aurore...
Mes amis! dites-moi combien d'hcures encore
Peut durer son éternité.
Qu'un incendie est beau lorsque la nuit est noire!
Erostrate lui-mȇme eût envié ma gloire.
D'un peuple à mes plaisirs qu'importent les douleurs!
Il fuit: de toutes parts le brasier l’environne.
Otez de mon front ma couronne:
Le feu qui brûle Rome en flétrirait les fleurs.
Quand le sang rejaillit sur vos robes de fête,
Amis, lavez la tache avec du vin de Crète:
L’aspect du sang n'est doux qu'aux regards des méchants.
Couvrons un jeu cruel de voluptés sublimes;
Malheur à qui se plaît au cri de ses victimes! —
Il faut l’âtouffer dans des chants.
Je punis cette Rome et je me venge d’elle!
Ne poursuit-elle pas d'un encens infidèle
Tour à tour Jupiter et ce Christ odieux?
Qu'enfin à leur niveau sa terreur me contemple!
Je veux avoir aussi mon temple,
Puisque ces vils Romains n'ont point assez de dieux.
J’ai détruit Rome, afin de la fonder plus belle,
Mais que sa chute au moins brise la croix rebelle!
Plus de chrétiens! allez, exterminez-les tous!
Que Rome de ses maux punisse en eux les causes;
Exterminez!... Esclave! Apporte-moi des roses,
Le parfum des roses est doux!
Mars, 1525
Victor Hugo - Odes et ballades, liv. IV, ode XV